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samedi 10 mai 2008

D'étonnants voyageurs sur la Jeanne d'Arc

© Giraudeau-Cailleaux/Casterman
Certains dessins et couleurs font beaucoup penser aux peintures du Breton Mathurin Méheut, un des peintres préférés de Christian Cailleaux. Les escales rythment le récit. : © Giraudeau-Cailleaux/Casterman

Le festival Étonnants voyageurs a lieu ce week-end à Saint-Malo. On pourra y rencontrer Christian Cailleaux, auteur avec Bernard Giraudeau de R97, le récit en B.D d'un tour du monde sur le navire école de la Royale. Le comédien et le dessinateur aiment le voyage, les mots, les images et les couleurs.

« La Jeanne d'Arc était assise au bord du quai, silhouette unique aux hanches larges, généreuses, qui allait accueillir 900 marins. Elle frémissait déjà à l'annonce du large... » C'est ainsi que débute le récit dessiné de Giraudeau et Cailleaux. Son titre, R97, se réfère au numéro d'immatriculation peint sur la coque du porte-hélicoptères. Nous sommes en octobre, il crachine sur Brest. Le jeune Théo Laurens s'approche du navire école de la Marine nationale. « Théo, c'est moi en grande partie » confie Bernard Giraudeau. À 17 ans, celui qui n'était pas encore le comédien, le réalisateur et l'écrivain que l'on connaît s'embarquait pour un tour du monde dans les sillages de Conrad, Stevenson, Melville, Rimbaud... « J'ai de l'empathie pour les marins. Ils forment une famille, un corps très soudé. Chacun à bord dépend de l'autre. Leur matrice, c'est le bateau. Tout doit fonctionner sans un raté pour la sécurité de tous. La mer leur apporte du rêve. Lorsqu'ils reviennent à terre, ils relativisent le monde. »

Christian Cailleaux, le dessinateur de BD, grand voyageur et amoureux d'une Afrique où il a beaucoup vécu, avait envie de travailler depuis longtemps avec Bernard. Surtout depuis qu'il avait vu Les caprices d'un fleuve, le « merveilleux » film écrit, réalisé et joué par Bernard Giraudeau, dont l'action se déroule au Sénégal. En 2005, c'est la rencontre à Saint-Malo, au Festival Étonnants voyageurs. Bernard Giraudeau s'en souvient : « J'ai été très flatté que l'on me propose de mettre en images des moments de mon bouquin Le marin à l'ancre (Éditions Métailié). Je ne suis pas à proprement parler un fan de bande dessinée même si j'apprécie les récits d'Hugo Pratt, Les passagers du vent de François Bourgeon, Persepolis de Marjane Satrapi ou Le chat du rabbin de Sfar. »

Les deux hommes décident d'associer leurs talents. Pas question pour Christian, le Bordelais, de « réaliser une adaptation littéraire. Bernard devait garder son écriture et moi, mon identité graphique. Il fallait que j'apprenne à dessiner la mer. Et le métal ! À bord du navire, il y a des boulons partout, des tuyaux dans tous les sens. Je me suis beaucoup documenté. J'ai pris des photos, fait des croquis, peint des aquarelles. Pour réaliser tout cela, j'ai embarqué d'abord avec Bernard entre Lisbonne et Brest. Ensuite, tout seul pendant cinq semaines pour une traversée de l'Atlantique entre Brest et New York. Je ne suis pas marin mais je suis content car, malgré mon inquiétude, je n'ai pas été malade. Et pourtant la réputation de la Jeanne n'est pas usurpée. C'est une grande dame qui roule des hanches. »

Le résultat graphique est étonnant. Il s'en dégage une grande émotion. Cela a plu à Bernard dès qu'il a découvert les premières planches. « J'apprécie l'élégance de son trait et sa sensualité lorqu'il dessine les femmes rencontrées lors des escales. »

En bon marin, Christian Cailleaux a évité de s'échouer sur les récifs de l'ennui. Ceux engendrés par le réalisme obsessionnel et le didactisme pontifiant. Là-dessus, les deux auteurs ne pouvaient que se sentir en harmonie. Si Christian avait envie de mettre « son savoir-faire graphique au service des mots » de Bernard, celui-ci souhaitait ajuster son écriture aux dessins et aux couleurs de Christian : « Il faut s'appeler Jules Renard ou Michel Audiard pour écrire des dialogues pertinents. Je les ai évités au maximum pour privilégier l'image. Il n'y a parfois dans une planche qu'une seule case avec du texte pour préserver la part d'imaginaire du lecteur. C'est comme pour les marins. Quand vous les écoutez raconter leur tour du monde, le même que celui que vous avez effectué, vous saisissez que chacun a une vision très différente de tous ces mois de navigation pourtant passés ensemble. » Et Christian d'ajouter « Nous avons souhaité être suggestifs et ne pas donner toutes les clés. Ce qui est important, ce n'est pas tant le voyage que le récit qu'on en fait. Pour moi par exemple, l'exotisme, ce n'est pas forcément Valparaiso mais Brest. Lors du grand départ de la Jeanne, j'éprouvais le sentiment d'être Jean Gabin dans Remorques, le film de Jean Grémillon adapté du roman de Roger Vercel. »

Aujourd'hui, leur BD est arrivée à bon port et plaît aux marins de la Royale (1). Chacun travaille à présent de son côté : Bernard, à un carnet de voyage, Christian, à une nouvel album. Mais leurs chemins de traverse ne devraient pas tarder à se croiser de nouveau. Bernard et Christian sont devenus des amis qui font partie de la même famille : celle des éternels étonnés. Comme les marins en mer, il leur suffit de monter au poste de vigie quand le soleil est couché pour savoir que « par nuit claire, on peut voir jusqu'à l'infini ».

Alain BESSEC.

(1) C'est ainsi que l'on nomme la Marine nationale car l'état major de ce corps d'armée est basé rue Royale à Paris.

R97, les hommes à terre, Cailleaux et Giraudeau, Casterman, 112 pages, 17,95 €.